
Francis Wolff est né en 1950. Il est actuellement professeur émérite de philosophie à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm,
Francis Wolff a enseigné la philosophie comme professeur agrégé du second degré (École normale d’instituteurs de Laon, lycée Fernand Darchicourt d’Hénin Beaumont, lycée de Plaisir), et en classes préparatoires (khâgne du lycée La Bruyère à Versailles). Il a tenu la chaire de philosophie ancienne du Departamento de filosofia de l’Universidade de São Paulo (Brésil) et de l’université de Paris-X Nanterre dont il a dirigé le Centre Festugière. A l’École normale supérieure, Francis Wolff a été maître de conférences, Directeur Adjoint (Lettres et sciences humaines), et Professeur des universités au Département de philosophie, qu’il a dirigé pendant trois ans.
Il y a organisé et dirigé, de 2004 à 2020, le séminaire « les Lundis de la philosophie ».
Une synthèse de son travail destiné à en montrer l’unité est parue en septembre 2021, sous le titre de Le monde à la première personne. Entretiens avec André Comte-Sponville.
Dans ce livre, Francis Wolff répond aux questions d’André Comte-Sponville. Celui-ci l’interroge d’abord sur sa conception de la philosophie, son enfance, sa formation, ses maîtres, et les philosophes contemporains qui l’ont influencé (Quine, Strawson, Foucault, Ricoeur, Rawls, Habermas). Le deuxième entretien est consacré au récit détaillé de la manière dont ses grands-parents paternels et maternels ont été déportés d’Allemagne vers Teresienstadt ou de Paris à Auschwitz. Il montre comment certaines positions qu’il a soutenues (contre l’idée de nation ou sur l’utopie cosmopolitique) ou certains des problèmes qui lui sont devenus chers (le mal, la liberté d’action, la tragédie des valeurs, l’objectivité du bien) trouvent leur source dans cette histoire familiale. A propos de ce dernier problème, il note (p.228) : « Ce problème… m’obsède depuis des années. Je devrais dire plutôt : il me terrifie. Sans lui, je serais sans doute demeuré un historien de la philosophie ou un métaphysicien placide. Sans lui, je serais resté un relativiste tranquille et satisfait : il n’y a ni Bien, ni Mal, il n’y a que des choses bonnes et mauvaises, bonnes pour les uns, mauvaises pour les autres. Ce n’est pas de gaîté de cœur que je me suis penché sur ce problème moral plutôt que sur des questions beaucoup plus excitantes pour l’esprit comme « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? ». Sur le tard, le problème du bien s’est mis à me hanter. » A partir du Quatrième entretien, le livre suit le développement de sa philosophie, de la métaphysique à l’esthétique en passant par l’anthropologie et l’éthique. Il la déploie sous la forme cartésienne d’un arbre (p. 124-126), dont les racines sont l’ontologie (la question : qu’y a-t-il dans le monde ? Entretiens 4 et 5), dont le tronc est l’anthropologie (la question : qu’est-ce que l’homme ? Entretien 6) et dont les branches sont l’éthique (qu’est-ce que le bien ? Entretiens 7 et 8), la politique (comment vivre ensemble ?, sur la politique, et l’amour, Entretien 10) et l’esthétique (qu’est-ce que l’art ? Entretien 9). Sur chacune de ces questions, montre-t-il, il s’est efforcé, à rebours de l’époque, de dégager des universaux anthropologiques comme conditions de possibilité de la diversité humaine : dans le questionnement métaphysique, dans le langage, dans la structure de la conscience, dans les modes de justification de l’action, dans chaque art et dans tous les arts.
Une analyse d’ensemble de sa philosophie a été proposée par Alain Policar dans son livre Le monde selon Francis Wolff. Ontologie, éthique et anthropologie. (Classiques Garnier, 2021). Cette étude est suivie d’une postface de Francis Wolff intitulée « En somme », qui en propose aussi un aperçu d’ensemble, de la philosophie ancienne aux engagements contemporains.
Les différents aspects de la philosophie de Francis Wolff sont donc étroitement intriqués les uns dans les autres. Il est cependant possible d’y distinguer deux grands blocs, correspondants plus ou moins à deux périodes distinctes de recherches et de publications.
Une première partie est consacrée à l’histoire de la philosophie ancienne : Socrate, PUF, 4e édition, 2000, Aristote et la politique, 4e édition, 2008, L’être, l’homme, le disciple, PUF, « Quadrige », 2000, repris dans Penser avec les Anciens, Un trésor de toujours, Hachette Pluriel, 2016, ainsi que de nombreux articles.
Renvoyant dos à dos les interprétations historique et philosophique de l’histoire de la philosophie, ainsi que les méthodes philologique et analytique, Francis Wolff introduit la notion de « figures de la pensée » (Penser avec les Anciens, p. 9) définies comme des « modes de pensée inscrits dans l’histoire comme autant de solutions philosophiques à des problèmes, qui, de notre point de vue historique, traversent l’histoire et semblent devoir lui échapper ». La lecture d’un philosophe ancien doit donc toujours commencer par retrouver le problème dont le texte est une solution possible. Cette notion de « figure » est reprise dans Notre humanité (Introduction) pour caractériser le jeu de relation et d’opposition entre les quatre définitions de l’homme (Antiquité, Âge classique, sciences humaines du XXe siècle, naturalisme contemporain) qui traversent l’histoire de la pensée.
Depuis la fin des années 1990, les recherches de Francis Wolff dessinent les contours d’une philosophie personnelle, dont la méthode se veut aussi argumentative que la philosophie dite analytique et aussi ancrée dans la tradition que la philosophie dite continentale. Les idées centrales sont les deux suivantes: il n’y a d’ontologie qu’anthropologique et il n’y a d’anthropologie que « logique » — au sens du logos aristotélicien (langage et raison). L’être humain est défini par la possession d’un langage prédicatif (dire quelque chose à propos de quelque autre chose) dans sa double dimension « interlocutive » (parler à quelqu’un d’autre) et « objective » (parler de la même chose).
Les publications de Francis Wolff prennent ainsi trois directions principales qui se répondent et s’entrecroisent :
– un axe logico-ontologique (Dire le monde ; Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Le temps comme concept hybride, ainsi que divers articles).
– un axe anthropologique dans lequel, outre Philosophie de la corrida (Fayard, 2007, rééd. Hachette Pluriel, 2011) et Il n’y a pas d’amour parfait (Fayard,2016) ainsi que divers articles, une trilogie est consacrée à l’être de l’homme:
+ Une étude historique et épistémologique sur différentes figures de l’humanité: Notre humanité, d’Aristote aux neurosciences (Fayard, 2010)
+ une analyse critique des représentations actuelles: Trois utopies contemporaines (Fayard 2017)
+ une analyse des fondements rationnels de l’éthique humaniste: Plaidoyer pour l’universel (Fayard, 2019, Pluriel 2021). Lire ici l’Introduction; ainsi que ici le sommaire, et là la Table analytique des matières.
– un axe esthétique (Pourquoi la musique ?, Fayard, 2015, repris en Hachette Pluriel, 2019) ainsi que divers articles), dans lequel se trouve illustrée l’ontologie triadique de Dire le monde (choses, événements, personnes) par « le triangle des arts » : arts de l’image – représentations de choses sans événements —, arts musicaux – représentations des événements sans choses, arts du récit – représentations de personnes agissantes.
Couverture de la nouvelle édition de poche de Pourquoi la musique?
Un entretien autour de l’ouvrage: Pourquoi la musique?